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đŸ‘ïž Comment j’utilise mes yeux

Publié le 30 mai 2020

Mis Ă  jour le 11 juin 2020

J’ai un strabisme divergeant, plus prĂ©cisĂ©ment un syndrome de Brown (page en anglais) depuis petit. On m’a dit plusieurs fois qu’on ne pouvait rien y faire. Et mĂȘme si on pouvait, je ne changerais probablement rien, car j’ai dĂ©veloppĂ© une façon assez particuliĂšre d’utiliser mes yeux Ă  laquelle je me suis habituĂ©. Avec le temps je me suis rendu compte que cette façon de voir est assez surprenante et curieuse pour les gens Ă  qui j’en ai parlĂ©. J’ai donc reproduit mon explication sous forme Ă©crite ici.

Je suis myope et lĂ©gĂšrement astigmate, je porte des lunettes pour me corriger. Je ne vais pas vraiment aborder ce point ici, Ă  part en prĂ©cisant le fait que mon Ɠil gauche a une moins bonne vue que mon droit : ma myopie est plus intense Ă  gauche.

Mon strabisme m’empĂȘche d’avoir une vision binoculaire, je n’ai donc aucune perception de la profondeur quand je vois. Ça peut rendre certaines situations difficiles, mais globalement ça ne me gĂšne pas tant que ça. J’ai naturellement dĂ©veloppement un sens de profondeur pour voir en “3D” Ă  partir d’une image “2D”, comme n’importe qui rĂ©ussit Ă  le faire en fermant un Ɠil par exemple. En fait, lĂ  oĂč ça m’a le plus dĂ©rangĂ©, c’est en cours de sport Ă  l’école, surtout pour jouer au tennis de table ou au badminton. Je ne prends aucun plaisir Ă  jouer Ă  un sport de raquette ou de balle, mais ça va je vis avec.

En somme, je ne vois jamais avec mes deux yeux en mĂȘme temps, mon cerveau ne fait jamais l’effort de reconstituer une unique image 3D Ă  partir des deux images 2D des mes yeux. Je regarde toujours avec un Ɠil principal tandis que l’image de l’autre Ɠil reste sur le cĂŽtĂ©, floue car non ajustĂ©e, et apporte Ă  ma vision pĂ©riphĂ©rique. Cette situation vient en fait avec un avantage : je peux choisir avec quel Ɠil je regarde.

Autant que je me souvienne, je suis capable de consciemment choisir Ă  tout moment quel Ɠil j’utilise comme mon principal. Je me suis rendu compte que je choisis dĂ©jĂ  automatiquement mon Ɠil gauche ou droit si l’un des deux est gĂȘnĂ©. Mais je change aussi d’Ɠil automatiquement selon la situation, car mes deux yeux ne voient pas de la mĂȘme façon. Tout comme nos deux oreilles entendent de deux maniĂšres lĂ©gĂšrement diffĂ©rentes, nos deux yeux voient diffĂ©remment aussi. Avec le temps j’ai dĂ©couvert des caractĂ©ristiques intĂ©ressantes pour chacun de mes yeux, et dĂ©sormais je choisis rĂ©guliĂšrement et dĂ©libĂ©rĂ©ment quel Ɠil utiliser selon la situation. J’explique.

J’utilise mon Ɠil droit la plupart du temps, il est mon Ɠil principal par dĂ©faut. En rĂ©alitĂ© je n’ai pendant longtemps utilisĂ© mon Ɠil gauche que pour regarder des choses qui sont franchement sur ma gauche, ou quand la vue de mon Ɠil droit est bloquĂ©e, ou encore pour lire. En effet, j’utilise toujours mon Ɠil gauche pour regarder quelque chose qui est prĂšs de moi comme un livre, notamment car mon Ɠil droit doit ajuster plus fortement, ce qui peut ĂȘtre pĂ©nible. Cette diffĂ©rence va plus loin que ça.

Je me suis rendu compte que l’image de mon Ɠil gauche est plus “large” tandis que l’image de mon Ɠil droit est plus “zoomĂ©e”, avec un champ de vision plus rĂ©duit. L’effet est plus fort quand je porte des lunettes car la correction de myopie est plus intense Ă  gauche, toutefois il semble aussi prĂ©sent sans. C’est subtil, mais assez fort pour que j’ai l’impression de prendre du recul Ă  chaque fois que je switche consciemment vers mon Ɠil gauche. Mon image gauche large est donc idĂ©ale pour ce qui est prĂšs, tandis que mon image droite zoomĂ©e est meilleure pour regarder au loin.

Cependant, je remarque une autre diffĂ©rence : mon Ɠil gauche semble avoir une meilleure rĂ©solution, comme s’il avait un peu plus de pixels. C’est peut-ĂȘtre simplement dĂ» au fait que je l’utilise moins (mon Ɠil principal Ă©tant le droit la plupart du temps), donc il se repose plus et ainsi voit mieux. Quand bien mĂȘme, je vais parfois volontairement sĂ©lectionner mon Ɠil gauche pour avoir une nouvelle perspective plus “nette” (et plus “large”) quand je regarde mon environnement, ce qui est plutĂŽt utile.

La derniĂšre diffĂ©rence entre mes yeux dont j’ai conscience est dans la perception des couleurs. A droite les couleurs sont plus sombres et un peu plus saturĂ©es, tandis qu’à gauche elles sont plus claires. Mon Ɠil droit, avec ses couleurs chaudes et sa plus basse rĂ©solution, agit un peu comme une vieille camĂ©ra de cinĂ©ma et me donne un rendu assez “vintage”. Alors que mon Ɠil gauche, avec son image mieux dĂ©finie et aux couleurs plus claires, est un peu comme une camĂ©ra digitale moderne, plus proche de la rĂ©alitĂ© mais moins stylisĂ©e dans son rendu. J’aime bien cette diffĂ©rence et j’en joue parfois : quand je regarde une photo ou une Ɠuvre d’art, je peux la juger de deux façons diffĂ©rentes. Quand je regarde un film, je choisis parfois dĂ©libĂ©rĂ©ment de changer d’Ɠil pour utiliser mon autre “filtre de couleur” si je le trouve mieux adaptĂ© aux choix visuels du film.

L’image ci-dessous donne une idĂ©e de ce que voient mes deux yeux devant une mĂȘme scĂšne.

Parfois j’aimerais avoir une vision binoculaire pour ĂȘtre capable de percevoir l’espace et sa profondeur, mais au final je ne sais pas ce que je rate. Ce j’ai aujourd’hui en revanche, c’est deux yeux que j’utilise de deux façons diffĂ©rentes pour voir le monde, et je trouve ça plutĂŽt cool.